Une employée municipale clonée en IA : quand l’administration britannique teste l’humain augmenté

Dans une petite ville du nord de l’Angleterre, un projet pilote pourrait bien préfigurer l’avenir de la fonction publique. L’administration municipale a fait un choix inédit : numériser les connaissances et la personnalité d’une employée expérimentée pour en faire une intelligence artificielle capable d’aider ses collègues. L’initiative, relayée par Le Huffington Post, a aussitôt attiré l’attention, tant par son audace technologique que par les questions qu’elle soulève.

L’employée en question, spécialisée dans la gestion de dossiers sociaux complexes, a accepté de participer au projet. Grâce à une série d’entretiens, d’analyses comportementales et à l’étude de milliers de documents qu’elle avait produits durant sa carrière, les concepteurs ont créé une IA conversationnelle à son image, capable de répondre aux questions de ses collègues, d’interpréter les situations, et même de proposer des solutions en se basant sur son expérience accumulée.

Cette IA, baptisée par les services municipaux du prénom de l’employée, ne se contente pas de réciter des textes préenregistrés. Elle est conçue pour s’adapter, reformuler, et intervenir comme le ferait la vraie personne, à la nuance près qu’elle peut être sollicitée 24h/24. Pour les responsables du projet, l’objectif est double : conserver la mémoire professionnelle des agents les plus expérimentés et accélérer la montée en compétence des plus jeunes.

Le gain de temps serait déjà significatif. Les nouveaux agents n’ont plus besoin de consulter des manuels de procédure ou de déranger leurs collègues à chaque difficulté. Ils peuvent interagir directement avec la version numérique de leur référente, qui répond immédiatement, avec pédagogie. En somme, une forme de mentorat augmenté.

Mais cette initiative suscite aussi une série d’interrogations. D’abord éthiques. Même si la collaboratrice a donné son consentement, peut-on réellement anticiper l’usage qui sera fait de son clone numérique dans le futur ? Qu’en est-il de la transmission de sa voix, de ses expressions, de son ton — éléments qui appartiennent à son identité propre ? Et surtout : que se passera-t-il si elle quitte la collectivité ? Son double continuera-t-il d’exister, indépendamment d’elle ?

Ensuite, des questions sociales émergent. Une telle innovation pourrait-elle à terme devenir une norme, incitant les organisations à préférer les “empreintes professionnelles” conservées sous forme d’IA à l’embauche de profils humains plus coûteux ? La frontière entre transmission des savoirs et substitution douce devient mince.

Enfin, du point de vue juridique, les contours restent flous. Qui est responsable en cas de mauvaise information donnée par le clone ? L’administration ? L’employée ? Les développeurs ? Ces cas, encore théoriques, pourraient vite devenir très concrets à mesure que les IA personnalisées se multiplient dans les collectivités et les entreprises.

Ce projet britannique s’inscrit dans un mouvement global de recherche de “capitalisation cognitive” des ressources humaines. De plus en plus, les organisations souhaitent préserver l’expertise individuelle au-delà de la présence physique. L’IA offre une opportunité unique pour cela, mais aussi un défi en matière de régulation, de consentement, et de droits numériques.

La ville expérimentatrice n’a pour l’instant déployé le clone qu’à titre interne. Mais les premiers résultats laissent penser que d’autres administrations pourraient suivre. Ce qui semblait relever de la science-fiction — conserver la mémoire active d’un agent public via une IA — devient une réalité opérationnelle.